09/10/2023

Plus de douze jours après le 07 octobre 2023, date de la première percée des défenses israéliennes autour de la bande de Gaza et la prise du QG d’une division par une guérilla mal-equipée et accompagnée de civils, Israël est encore sous le choc en dépit de ses bombardements aériens et pilonnages d’artillerie d’une extrême violence contre les denses agglomérations urbaines de la bande de Gaza. À ce choc initial s’ajoute un autre causé par la prise de contrôle total de la défense israélienne par les États-Unis d’Amérique. Jamais Washington n’est allé aussi loin dans le contrôle des processus d’élaboration et de prise de decision d’un gouvernement d’un autre pays. Jamais une armée régulière ne s’est retrouvée confrontée à une telle transition de statut: d’une des meilleures armées du monde à celui de réserves dépendant de l’apport logistique US et surtout du Pentagone.

L’envoi d’une véritable armada américaine pour venir en aide à Israël a été interprété par de nombreux observateurs comme une reconnaissance de fait de l’extrême mauvaise posture stratégique israélienne et son extrême vulnérabilité.

Malgré le soutien US et celui de leurs alliés qui ont adopté les éléments sémantiques de la Hasbara israélienne en y ajoutant ceux des milieux idéologiques dits néoconservateurs des années 90 centrés sur des concepts manichéens simplistes niant même l’humanité de l’adversaire qualifié et défini comme tel, ce qui a couvert les exactions et les violations massives du droit de la guerre, du droit humanitaire et du droit international d’Israël pendant des décennies, les massacres de civils à Gaza et la tentative de déporter ses habitants dans ce qui s’apparente comme une solution finale (Endlosung) de la question palestinienne, ne résoudront d’aucune manière la crise existentielle du post-sionisme et ne changera rien au problème. Même l’anéantissement du Hamas palestinien ne changera rien puisque les élites israéliennes ont non seulement une fâcheuse tendance à se construire de nouveaux ennemis mais à considérer tout mouvement politique remettant en cause l’extension des colonies et l’occupation comme une organisation terroriste et sur ce dernier point, quelle que soit son idéologie ou sa religion, la partie qui remet en cause la politique du fait accompli d’Israël sera toujours classée comme l’ennemi à abattre par tous les moyens possibles. Ce qui change cette fois est qu’Israël ne dispose plus de son aura d’État guerrier, dont l’image, entretenu au moins depuis 1967 par des efforts massifs de propagande, de lobbying  et de marketing, vient de voler en mille éclats en une journée.

Le déploiement en Israël de forces spéciales US comme les Delta forces et les Navy Seals en Israël n’est pas le seul. D’autres pays de l’OTAN comme l’Allemagne y ont dépêché des éléments du KSK (Kommando SpecialKräfte) et KSM (Kommando SpecialKräfte Marine) et du GSG-9 de la Bundespolizei.  L’équipe de communication du Président US Joe Biden a même révélé par mégarde une photographie d’éléments des Delta forces déployés dans le Sud d’Israël et cette image à elle seule a plus contribué à la démoralisation des militaires israéliens que ne le furent les images de la prise d’assaut du QG de la division qui assiégeait la bande de Gaza.

Le moral au sein des forces armées israéliennes est au plus bas et de très nombreuses dissensions déchirent les chefs militaires et même les simples soldats. Le commandement militaire israélien semble totalement choqué qu’il soit contraint de tout céder au Pentagone et d’assister, médusé, à la prise de contrôle totale d’Israël par Washington. À un niveau intermédiaire, l’effondrement du mythe d’invincibilité entretenu depuis 1967 a causé d’immenses dégâts psychologiques au sein de la troupe et de la réserve.
C’est la première fois qu’Israël mobilise l’ensemble ou l’intégralité de sa réserve de son histoire. Cette mobilisation ne s’est pas passée sans heurts ni accrocs avec une logistique qui ne suivait pas et un manque de munitions causé par une corruption généralisée.
La discipline n’a jamais été aussi relâchée et les bagarres et les cas d’insubordination sans légion. Après une profonde analyse de cette situation catastrophique, les États-Unis ont conclu qu’il fallait intervenir directement pour éviter un chaos assuré, voire une disparition pure et simple d’Israël.

Israël se retrouve de facto comme Puerto Rico même si, d’un certain point de vue d’influence, il se rapproche le plus de l’État de Floride où se retrouvent certains de ses plus fervents soutiens qui rappellent dans leur modus operandi et leur rage,  ceux des milieux cubains exilés en Floride au début des années 1960 peu de temps avant l’assassinat de l’ex Président John Fitzgerald Kennedy le 11 novembre 1963. En d’autres termes, Israël s’est retrouvé aliéné de sa souveraineté et sous la dépendance totale de Washington.

Pour revenir à notre sujet qui est celui de la stratégie, les analystes militaires israéliens ne se sont pas trompés en affirmant qu’il faudrait reconstruire depuis le zéro les forces armées israéliennes et démanteler celles existantes car ce modèle intenable était essentiellement basée sur le paraître et la tromperie. Il est assez édifiant de constater qu’une simple guérilla urbaine issue d’un milieu pauvre et sous blocus aboutisse à un appel urgent à l’aide militaire et financière US au point que les plus hauts responsables US soient membres du Cabinet de guerre israélien.

C’est une aliénation totale traduisant la crise profonde d’Israël en tant que projet sans nouvelles perspectives d’avenir et dont l’idéologie sur laquelle il s’est construit, le sionisme, est parvenue à un cul-de-sac dont le seul échappatoire est la radicalisation et l’extrémisme. Cette crise s’inscrit dans le sillage d’un déclin universel affectant la plupart des États anciens et modernes. Cependant dans le cas d’Israël, il semble que les facteurs historiques sous-jacents et inhérents à sa création mouvementée de toutes pièces et son rejet dans un environnement géopolitique et stratégique dans lequel il s’incrutait en tant que corps étranger aient joué un rôle non négligeable dans cette ultime aliénation et la destruction d’un de ses mythes fondateurs.