Port-au-Prince, le 23 avril 2023
Lettre ouverte au Président du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU)
OBJET : Demande de mise en examen d’une décision impérialiste d’un Etat-membre permanent du Conseil de Sécurité, les Etats-Unis d’Amérique ; d’évaluation du niveau d’application de la Résolution 2653 (2022) et de la mise en place de la commission indépendante d’évaluation des diverses missions onusiennes en Haïti de 1993 à 2023.
Excellence
MonsieurVassilyA.Nebenzia Président
ConseildeSécurité
ONU405 East 42nd Street, New-York, USA
Monsieur le Président du Conseil de Sécurité,
Nous, les organisations signataires, saluons votre présence, en ce mois d’avril 2023, à la présidence tournante du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et voudrions vous faire part de notre préoccupation suite à la décision impérialiste d’un Etat-membre permanent du Conseil de Sécurité, les Etats-Unis d’Amérique, de vouloir imposer un plan de dix (10) ans fabriqué pour un Etat-membre fondateur de l’ONU, Haïti, tout en confisquant une partie de son territoire. Nous voudrions, en outre, demander au Conseil que vous présidez de bien vouloir examiner le niveau d’application de la Résolution 2653 (2022) et mettre à l’ordre du jour notre requête relative à l’envoi d’une mission d’évaluation indépendante des différentes missions onusiennes déployées depuis environ 30 ans en Haïti, soit de 1993 à date.


Nous avons relevé avec intérêt l’annonce dans votre agenda de travail d’un débat public de haut niveau du Conseil de Sécurité le 24 avril 2023 sous le thème : "Un multilatéralisme efficace à travers la défense des principes de la Charte des Nations Unies". Vous prévoyez ainsi d’avoir « une discussion globale et stratégique tournée vers l’avenir sur la formation d’un nouvel ordre mondial multipolaire fondé sur l’égalité souveraine, l’égalité des droits et l’autodétermination, la justice et la sécurité, les relations amicales et la coopération entre les nations dans le plein respect des propositions et des principes de la Charte des Nations Unies où l’ONU est en mesure d’agir en tant que mécanisme central pour coordonner les intérêts des États membres dans leurs actions visant à atteindre les objectifs de la Charte des Nations Unies. »
Monsieur le Président du Conseil de Sécurité,
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Dans la perspective de ce débat ouvert fixé au 24 avril courant sur les principes de la Charte de l’ONU, n’y a-t-il pas lieu de constater la violation du droit à l’auto-détermination du peuple haïtien par cette démarche suspecte du gouvernement étatsunien de vouloir imposer un plan de dix (10) ans pour Haïti par le biais d’un processus dénommé : "Strategic Framework"/ 10-year plans for implementing the US Strategy to prevent conflict and promote stability in partnership with Haiti..(US Department of State, March 27, 2023)./ Est- ce une résolution du Conseil de Sécurité qui l’autorise à oser penser et planifier le futur d’Haïti à travers son Ministère des Affaires Etrangères ? Cette démarche, pour le moins problématique, est-elle fondée sur le principe d’égalité ou les autres principes majeurs de la Charte des Nations-Unies ? N’est-ce pas là une sérieuse atteinte à la souveraineté, à l’indépendance, à l’intégrité territoriale et à l’unité d’Haïti ?
De quelles intentions amicales et généreuses le gouvernement étatsunien peut-il se prévaloir pour décider d’un plan de dix (10) ans pour Haïti ? En ce sens, un bref regard sur l’histoire des relations entre les deux pays, du 19e siècle jusqu’au début de ce 21e siècle, peut se révéler utile.
1- Au XIXe siècle
En 1862, le gouvernement étatsunien accepte finalement de reconnaitre l’indépendance d’Haïti, soit 58 ans après l’exceptionnelle révolution anti-esclavagiste haïtienne de 1804. Cette indépendance a été fortement minimisée pendant plus d’un demi-siècle par les politiques nord-américains fortement attachés à l’esclavage qui ne fut aboli sur leur territoire qu’en 1865.
En 1858, les Etats-Unis d’Amérique, encore adeptes de l’esclavage, s’emparent d’une partie du territoire haïtien, l’île de la Navase pourtant inscrite dans la constitution du pays, indépendant depuis 1804. L’acte juridique évoqué par le gouvernement étatsunien pour l’invasion de l’ile haïtienne de la Navase est le GUANO ISLANDS ACT. Cette loi arbitraire, adoptée le 18 aout 1856, permet de déclarer "possession des Etats-Unis toute ile inhabitée riche en guano découverte par un citoyen américain en n’importe quel endroit du monde". Les gouvernements étatsuniens successifs exploitent à leur profit exclusif les ressources en guano et autres de l’ile de la Navase qui demeure leur territoire colonial jusqu’à date, en 2023, soit depuis environ 165 ans.
A souligner que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer entrée en vigueur en novembre 1994 et ratifiée par l’Etat haïtien le 31 juillet 1996 définit des droits souverains pour les états côtiers comme Haïti. L’article 56-1a stipule : « l’Etat côtier a des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, ...des fonds marins et de leur sous-sol.. » Les droits prévus pour Haïti par cette Convention onusienne sont pourtant confisqués par cet Etat-membre permanent du Conseil de Sécurité susmentionné.
2- Au XXe siècle
En décembre 1914, le gouvernement étatsunien introduit sur le sol national des marines qui envahissent les locaux de la Banque de la République, emportent les réserves d’or d’Haïti stockées et repartent avec leur butin vers les Etats-Unis d’Amérique. Moins d’une année plus tard, leur armée débarque et occupe notre pays pendant 19 ans, soit de 1915 à 1934.
En 1920, en pleine campagne électorale, le président Franklin Delano Roosevelt, déclare : « J’ai écrit moi- même la Constitution d’Haïti en 1917 et je pense qu’elle est assez bien rédigée. ». Une telle déclaration ne dénote-t-elle pas une suffisance, une arrogance, une volonté extrême de domination, une grave atteinte au droit à l’autodétermination du peuple haïtien ?
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En 1981, le gouvernement étatsunien décide d’étiqueter le peuple haïtien comme propagateur d’un virus, le sida, qu’il nommait alors 4 H, l’un des H se référant à Haïtien. Il a fallu une manifestation monstre de la diaspora haïtienne pour le retrait de cette étiquette négative cyniquement attribuée.
En 1994, l’actuel président Joseph Robinette Biden, alors sénateur de l’Etat du Delaware, affirme lors d’une interview à une chaine télévisée : « Si Haïti s’enfoncait tranquillement dans les Caraïbes.... cela n’aurait pas beaucoup d’importance en termes d’intérêts pour nous ».
3- Au XXIe siècle
En 2003, la communauté haïtienne est choquée par la sortie aux Etats-Unis d’un jeu vidéo appelant à tuer les Haïtiens : "KILL THE HAITIANS" ("TUER LES HAÏTIENS"). A-t-on enregistré une réaction immédiate du gouvernement étatsunien ??
En janvier 2010, suite au terrible tremblement de terre ayant frappé Haïti, l’armée des USA accapare illégalement l’Aéroport international Toussaint Louverture, empêche l’arrivée des secours provenant de divers pays et déploie des bateaux de guerre autour de notre pays sans accorder la priorité à secourir les nombreuses victimes affectées par ce séisme dévastateur.
En mars 2010, au cours d’une audition au Sénat, l’ex-président Bill Clinton admet sa culpabilité dans l’effondrement de la production du riz haïtien au profit de riziculteurs et d’exportateurs étatsuniens. La politique de libre-échange imposée à Haïti était « une erreur » a-t-il reconnu.
Lors des élections générales de 2010, les États-Unis opèrent une grossière ingérence dans les affaires internes du pays afin d’imposer finalement la victoire de Michel Joseph Martelly à la Présidence malgré le fait que les résultats du premier tour ne lui permettaient pas de figurer dans le cadre du ballotage du deuxième tour. Cette nouvelle situation jouera un rôle déterminant dans le processus de gangstérisation du système politique haïtien.
Les politiques étatsuniens au pouvoir persistent, au 21e siècle, dans leur mépris d’Haïti et du peuple haïtien. Ainsi, en janvier 2018, un ex-président, Donald Trump, qualifie Haïti, Etat-membre fondateur de l’ONU et corédacteur de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, de "Shithole" (Trou de merde).
En mars 2023, l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) publie un rapport où il est indiqué que la majorité des armes et munitions qui aboutissent aux mains des gangs terroristes qui massacrent, pillent et kidnappent en Haïti, proviennent des Etats-Unis d’Amérique. Les dispositions inscrites au paragraphe 11 de la Résolution 2653 adoptée par le Conseil de Sécurité, le 21 octobre 2022, sont donc violées par un Etat-membre (..tous les États Membres devront prendre immédiatement les mesures nécessaires pour empêcher la fourniture, la vente ou le transfert directs ou indirects à des personnes ou entités désignées par le Comité, ou à leur profit, à partir de leur territoire ou à travers leur territoire ou par leurs ressortissants, ou au moyen de navires ou d’aéronefs battant leur pavillon, d’armements et de matériels connexes de tous types, y compris les armes et les munitions...).
Après tous ces méfaits, qui sont loin d’être exhaustifs, perpétrés contre Haïti en dehors des principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies, n’y a-t-il pas lieu de se demander si le gouvernement étatsunien peut encore convaincre d’une quelconque bonne intention ou folle générosité d’œuvrer pour le progrès d’Haïti à travers un prétendu plan de développement de 10 ans ? Qu’est ce qui a pu subitement changer son approche méprisante, haineuse, cynique et déstabilisatrice permanente vis-à-vis d’Haïti ? Est- ce qu’il est prévu dans ce fameux Plan décennal, la restitution de la réserve d’or d’Haïti volée le 17 décembre 1914 ? Ou la restitution assortie de réparation en ce qui a trait à l’île de la Navase, après 165 ans de saisie coloniale, de pillage de ce territoire et des fonds marins alentour ?
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Monsieur le Président du Conseil de Sécurité de l’ONU,
Nous les signataires, persistons à croire qu’une attention particulière sera accordée au dossier d’Haïti au prochain débat ouvert prévu au Conseil de Sécurité des Nations Unies le 24 avril 2023. Il convient de retenir qu’à travers la Résolution 2653 (2022) susmentionnée, le Conseil de Sécurité, aux termes du paragraphe 13 « Demande à tous les États Membres, en particulier aux États de la région, agissant conformément à leur jurisprudence et leur législation internes et au droit international, de faire inspecter sur leur territoire, y compris dans les ports maritimes et aéroports, tous les chargements à destination d’Haïti, si les États concernés disposent d’informations leur donnant des motifs raisonnables de penser que ces chargements contiennent des articles dont la fourniture, la vente ou le transfert sont interdits par le paragraphe 11 de la résolution, afin de garantir une stricte application de ces dispositions. »
Six mois après l’adoption de cette résolution annonçant un régime de sanctions tout en exigeant la cessation d’activités criminelles sur le territoire, peut-on, au vu de l’extension et l’intensification de la violence des gangs armés, avancer que cette disposition est appliquée et le climat sécuritaire en Haïti amélioré ? Pire, est-il interdit de penser que ce boulevard laissé ouvert à la perpétration d’enlèvements spectaculaires à répétition, de massacres les uns plus horribles que les autres, de tragiques déplacements forcés de population, serait une énième stratégie pour convaincre l’opinion publique internationale du caractère incontournable d’une intervention militaire étrangère musclée ?
Ce débat ouvert du 24 avril et la rencontre sur Haïti prévue à l’ONU le 26 courant, seront une opportunité pour les Etats-membres d’évaluer, entre autres, le niveau d’application effective de cette résolution, notre requête de l’envoi sur le terrain d’une commission d’évaluation des missions onusiennes et surtout le respect des principes inscrits dans la Charte de l’ONU vis-à-vis d’un Etat-membre fondateur de l’organisation. Au nombre de ces principes, citons :
Le principe de l’auto-détermination : Est-ce que les Etats-Unis d’Amérique détiennent une résolution de l’ONU autorisant leur Ministère des Affaires Etrangères à bâtir un plan de 10 ans pour un autre Etat- membre, Haïti ? Serait-il imaginable que l’ONU consente à se mettre en contradiction avec ses propres principes directeurs ?
La coresponsabilité dans le respect du droit à la vie : Est-ce que les Etats-Unis ont un passe-droit pour laisser déverser en toute impunité des cargaisons d’armes qui alimentent sans arrêt des incidents sanglants en Haïti ? Un quotidien national Le Nouvelliste a même relaté qu’il y a plus de morts civiles enregistrées en Haïti qu’en Ukraine (Ref / Le Nouvelliste /21 mars 2023/Plus de civils meurent en Haïti qu’en Ukraine).
La fin des territoires coloniaux et l’égalité souveraine : A l’heure où les Nations Unies avancent dans la quatrième Décennie pour l’élimination du colonialisme (2021-2030), n’est-il pas venu le temps de mettre fin à la colonisation de l’île de la Navase par les Etats-Unis d’Amérique ? A signaler que cet Etat-membre, par cette mainmise, bloque la pleine jouissance par Haïti de sa Zone Economique Exclusive (ZEE), une disposition de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer.
Nous, les signataires, vous remercions de votre attention et vous prions d’agréer, Monsieur le Président du Conseil de Sécurité, notre haute considération.
Suivent les signatures :
Alternative Socialiste (ASO) / Jean Hénold Buteau et Jean-Paul Bastien
ALBA MOVIMIENTOS, ChapitreHaiti/Islanda Micheline Aduel
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KONAKOM, Dunois Erick Cantave
Latibonit Kanpe pou Ayiti (LAKAY) / Paul André Garçonnet
Inisyativ Patriyòt Maryen (IPAM) / Hugues Célestin
Mouvman Revolisyonè pou Liberasyon Mas yo (MORELIM) / Nelio Petit-Homme COMIPOL/ Ernso Ertilus et Julio Fils Cham
Osnel Jean-Baptiste / Journaliste engagé
Union Nationale des Normaliens-nes d’Haïti (UNNOH) / Peguy Noel
Kolektif Solidarite, Idantite ak Libète (KSIL) / Rudolph Prudent
Centrale Nationale des Ouvriers Haïtiens (CNOHA) / Dominique St Eloi
Konbit Ayisyen pou Lojman Altènatif (KAYLA) / Francia Pierrette
Obsèvatwa pou Egalite (OPE) / Jean Claudy Aristil
Platfòm Ayiti Vèt (PAV) / Saico Jean Michel Sévère
Union Syndicale des Transporteurs Haïtiens (USTRAH) / Venès Junior Many
Asosyasyon Viktim Masak Leta nan Katye Popilè yo (AVIMEKP) / Nevelson Jean-Baptiste Respect des Ouvriers Haïtiens de la Manufacture (ROHM) / Camito Sainclair
Collectif des Planteurs Responsables pour l’avancement d’Haïti (COPRAH) /
Rezo Òganizasyon Nòdwès / Kerby Joseph
Fowòm Sitwayen nan Sid (FOSID) / Rejean Fontaine
Sèk Gramsci / Pipo Brutus
MJPB / André Fritz Blanchard
Rezo òganizasyon Bèlfontèn (ROB) / Jean Paul Louis Edmond
ONEDE / Joseph Jacqueson
GRAGDÈC / Josué Sénatus
Platfòm Oganizasyon pou Ideyal Bwawon Tonè / Hugues-Capè Mondésir
MOSSO/AVIMB / Gary Lindor
Kowòt Patriyotik / Francisco Alcide
Cercle Grégory Saint-Hilaire / Cilien Luxenat
MOLEGHAF / Oxygène David
JEPDE / Pierre Fustin
Remanbre Ayiti / Desruisseaux Widnel
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Altenativ popile / Jean Dieubon Pierre Sèk Janil / Moïse Ibréus
Armand Joseph Jules / Citoyen engagé Brigad Desalin / Ricardo Cabaño
Fòs Dèlma 32 / Clerveaux Fritznel
Fanm Vanyan pou sove Souverennte Ayiti / Myrlène Deshommes
MSTH-ROZO / Mario Maisonneuve
ESKANP/ Mario Coty
ROZO/Mirtha Elie
AJSOCH/ Jean Thony Forest
FOSYNPO/Gédéon Junior Georges
FRAKKA/ Francois Philippe
ZOULA/ Pierre Dieudonné Délice
Oganizasyon Konbit Aksyon Popilè / James Francisque
NOUVOLIB / Schneider Alcereste
PLANARE / Victor Charidieu
Jean Benoit Daniel Leblanc / Enseignant, journaliste
Kolektif Atis Angaje (KATAN) / Kébert Bastien
Syndicat du Personnel Administratif de l’UEH / Jean Bernard Jean Louis
Konbit Òganizasyon Sendikal, Politik ak Popilè / Josué Mérilien
Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) / Camille Chalmers Mouvman Leve Kanpe pou yon Lòt Endepandans / Patrick Joseph
Pour authentification :
Camille Chalmers / PAPDA Rudolph Prudent / KSIL
Josué Mérilien / KONBITis uh
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