25 décembre 2023
par Joseph Massad
La résistance palestinienne doit toujours être ancrée dans l’histoire de la lutte anti-coloniale, et la guerre génocidaire d’Israël reconnue comme une continuité de cette lignée coloniale.
L’horreur ressentie par Israël et ses sponsors occidentaux depuis l’opération de représailles du Hamas du 7 octobre découle de leur mépris raciste pour les autochtones palestiniens, qui les a conduits à penser qu’Israël ne pourrait jamais être attaqué militairement avec succès.
Mais ce sentiment d’humiliation occidental face à la capacité d’un peuple non européen colonisé et «racialement inférieur» à résister et à vaincre ses colonisateurs n’est pas sans précédent dans les annales de l’histoire coloniale.
À la fin du XIXe siècle, les Britanniques ont subi une défaite coloniale des plus illustres face à l’armée du royaume zoulou. Lors de la bataille d’Isandlwana, en Afrique australe, en janvier 1879, l’armée zouloue, forte de 20 000 hommes légèrement armés, a humilié les forces coloniales britanniques, malgré leur supériorité en armement, tuant 1300 personnes (dont 700 Africains) sur un total de 1800 soldats envahisseurs et 400 civils. La bataille a fait entre 1000 et 3000 morts parmi les forces zouloues.
La vengeance coloniale
Cette défaite cuisante laisse la fierté britannique en lambeaux et fait craindre au gouvernement de Benjamin Disraeli que la victoire des Zoulous n’encourage la résistance indigène dans tout l’Empire. En juillet 1879, les Britanniques entreprennent de réinvestir les terres zouloues avec des forces beaucoup plus importantes, mais cette fois-ci, les Zoulous sont vaincus. Ils se vengent en mettant à sac leur capitale, Ulundi, en la rasant, et en capturant et exilant le roi zoulou. Au total, 2500 soldats britanniques (y compris leurs recrues africaines) et 10 000 Zoulous sont tués.
Toujours en Afrique australe, Cecil Rhodes, un magnat britannique de l’exploitation minière, crée la British South Africa Company en 1889. La compagnie part de l’Afrique du Sud vers le nord pour conquérir de nouvelles terres et y introduire des colons anglais. En 1890, 180 colons et 200 policiers de la compagnie sont partis du Bechuanaland (aujourd’hui Botswana) vers le Mashonaland (aujourd’hui Zimbabwe). Cette année-là, Rhodes devient premier ministre de la colonie du Cap.
En 1893 et 1896, l’empiétement de la compagnie se heurte à une forte résistance locale de la part des Shona et des Ndebele. En 1893, la sauvagerie des colons blancs est telle qu’ils qualifient le massacre des Ndebele de «tir à la perdrix». Lors de la révolte de 1896, les Shona et les Ndebele ont tué 370 colons blancs, ce qui a incité les Britanniques à envoyer 800 soldats dans la nouvelle colonie pour réprimer le soulèvement anticolonial, baptisé Chimurenga (qui signifie «libération» en shona). Au total, 600 Blancs ont été tués sur une population coloniale de 4000 personnes.
La réaction des Blancs a été encore plus sauvage que les meurtres de 1893. Un colon blanc «a abattu des gardiens de troupeaux et prélevé leurs oreilles, un autre a découpé des morceaux de peau de ses victimes pour en faire des blagues à tabac». Les colons tuent les Africains sans distinction, détruisent les récoltes et dynamitent les maisons. Les massacres et les destructions provoquent des famines généralisées, tandis que les leaders de la révolte sont tués et que les survivants sont pourchassés, jugés et pendus.
De même, en 1896, les Italiens, qui avaient établi une colonie de peuplement en Érythrée, décidèrent, avec l’encouragement des Britanniques, d’envahir l’Éthiopie pour acquérir davantage de terres, mais ils furent humiliés et vaincus par l’armée éthiopienne de l’empereur Ménélik II, armée par les Français. Des milliers de soldats éthiopiens, érythréens et italiens ont été tués lors de la bataille d’Adwa.
La défaite d’une armée européenne par une armée africaine a humilié l’Italie devant ses pairs européens et l’a poussée à la vengeance, avec l’arrivée du régime fascisme. C’est Mussolini qui vengea la défaite d’Adwa en envahissant l’Éthiopie en 1935. Cette fois, les Italiens tuent 70 000 Éthiopiens, et transforment l’Éthiopie en colonie de peuplement.
Toujours au nord, l’armée du leader soudanais Muhammad Ahmad bin Abdullah, connu sous le nom d’al-Mahdi, a conquis Khartoum sur les colonisateurs britanniques, et a vaincu leur armée en janvier 1885. Al-Mahdi meurt en août 1885 du typhus.
Préoccupés par la défaite italienne à Adwa, les Britanniques reconquièrent le Soudan en 1896 et prennent Khartoum en 1898 après avoir tué 12 000 Soudanais à l’artillerie et à la mitrailleuse, en avoir blessé et capturé plus de 15 000. Les Britanniques ont perdu 700 personnes, dont des soldats égyptiens et soudanais qui faisaient partie des forces britanniques.
Même morts, les chefs indigènes seront soumis à la pratique coloniale européenne de la décapitation. Le conquérant britannique Lord Kitchener a ordonné l’exhumation du corps d’al-Mahdi, l’a décapité, l’a jeté dans le Nil et a envisagé d’utiliser le crâne comme encrier, n’eût été les instructions données par la reine Victoria lorsqu’elle a entendu parler de cette abomination.
La vengeance israélienne
Ces précédents coloniaux sont fondamentaux pour comprendre l’esprit de vengeance des puissances occidentales blanches lorsqu’elles sont humiliées militairement par des «peuples inférieurs» qui résistent à leurs conquêtes coloniales.
En 1954, après la défaite catastrophique des Français à Dien Bien Phu, dans le nord du Viêt Nam, les Américains ont immédiatement repris le flambeau de la guerre, tuant des millions de personnes au cours des deux décennies suivantes dans toute l’Asie du Sud-Est.
Après son humiliation du 7 octobre face à la résistance palestinienne, qui continue de remporter des victoires militaires décisives contre les forces d’invasion à Gaza, Israël s’est vengé en menant une guerre génocidaire totale contre les Palestiniens. Cet assaut permanent est soutenu logistiquement et financièrement par les pays européens et les États-Unis suprématistes blancs, qui lui donnent également une couverture politique et morale.
La presse européenne et américaine a joué un rôle actif dans la justification du génocide israélien du peuple palestinien en faisant la promotion d’histoires racistes de violence palestinienne barbare et primitive, dont un grand nombre ont déjà été démenties et rétractées. Pourtant, les dirigeants politiques occidentaux continuent de répéter comme s’il s’agissait de la vérité ces fabrications racistes.
Ce consensus occidental sur la nécessité de mener un génocide contre le peuple palestinien a été résumé avec précision par le président israélien Isaac Herzog, qui a déclaré que la guerre génocidaire de suprématie juive d’Israël «ne concerne pas seulement Israël et le Hamas. C’est une guerre qui vise véritablement à sauver la civilisation occidentale, à sauver les valeurs de la civilisation occidentale».
Il a ajouté, en hommage à Ronald Reagan qui avait utilisé la morale chrétienne dans sa campagne pour faire tomber l’URSS, que l’ennemi d’Israël n’est rien de moins qu’un «empire du mal». Pour expliquer pourquoi un consensus blanc aussi large existe en Europe et aux États-Unis en faveur de l’«anéantissement» de Gaza et de sa population, Herzog a affirmé que «si nous n’étions pas là, l’Europe serait la prochaine, et les États-Unis suivraient» [nous avons déjà entendu maintes fois cet argument lors de la guerre en Ukraine, prétendant que l’Europe serait le prochain objectif des «Russes»].
Une telle défense est caractéristique de l’argumentaire des colons européens suprématistes blancs. En 1965, deux mois avant que les colons blancs de Rhodésie ne déclarent l’indépendance, le brigadier Andrew Skeen, dernier haut-commissaire de Rhodésie à Londres, a défendu la suprématie blanche et le colonialisme de peuplement en Rhodésie en affirmant qu’«une invasion orientale de l’Occident peut être stoppée et inversée» et que, le sort de la Rhodésie étant «dans la balance», cela «a mené la Rhodésie à assumer le rôle de champion de la civilisation occidentale».
À l’instar des colons chrétiens blancs qui ont souvent invoqué la supériorité raciale et la défense de la civilisation occidentale pour justifier leurs crimes génocidaires, Israël invoque également la suprématie juive et la civilisation occidentale pour justifier ses crimes génocidaires. Toutefois, le gouvernement israélien et ses partisans sionistes invoquent une justification plus puissante, dont ne disposent pas les colons chrétiens blancs, à savoir l’Holocauste et de l’histoire de l’antisémitisme qui, selon Israël, lui confère le droit moral d’opprimer et de nettoyer ethniquement le peuple palestinien, une défense propre à la colonie de peuplement juive.
La défense actuelle et agressive d’Israël pour ses crimes génocidaires consiste à affirmer que, puisque les juifs européens ont été soumis à un génocide par les chrétiens européens blancs, le gouvernement israélien peut donc infliger, au nom des juifs, toutes les atrocités qu’il juge nécessaires au peuple palestinien – même si cela signifie passer au bulldozer et enterrer vivants des douzaines de civils.
Quiconque ose remettre en question ce noble génocide israélien des Palestiniens en défense de la civilisation occidentale, comme pourrait le faire la Cour pénale internationale si elle enquêtait sur les crimes israéliens, pratiquerait «l’antisémitisme pur», comme l’a proclamé Benjamin Netanyahou avec beaucoup d’arrogance.
Héritage colonial
Compte tenu de l’horrible passé d’atrocités d’Israël à l’encontre des Palestiniens, en particulier ceux du camp de concentration de Gaza qui en subissent les manifestations les plus cruelles depuis près de vingt ans, de nombreux commentateurs ont imaginé diverses analogies pour condamner ou expliquer ce qui s’est passé le 7 octobre.
Dans une récente interview accordée au New Yorker, l’historien américano-palestinien Rashid Khalidi, qui a conseillé l’Organisation de libération de la Palestine à Madrid et à Washington au début des années 1990 sur la manière de négocier le soi-disant «processus de paix» kissingerien, a condamné la résistance palestinienne :
«Si un mouvement de libération amérindien venait tirer un obus sur mon immeuble parce que je vis sur une terre volée, cela serait-il justifié ? affirme-t-il : «Bien sûr que ce ne serait pas justifié… Soit vous acceptez le droit humanitaire international, soit vous ne l’acceptez pas»».
Mais l’analogie de Khalidi, qui a suscité des critiques sur X, est erronée. Si les citoyens palestiniens colonisés d’Israël avaient bombardé les juifs israéliens qui vivent aujourd’hui sur leurs terres volées, l’analogie avec les Amérindiens pourrait avoir un certain mérite. Mais même dans ce cas, elle renverrait à la représentation raciste que les colons blancs donnaient des Amérindiens dans la «Déclaration d’indépendance» des États-Unis, à savoir «des sauvages indiens sans pitié dont la règle de guerre notoire est la destruction sans distinction d’âge, de sexe et de condition», comme l’a rétorqué l’universitaire et militant Nick Estes, de l’organisation amérindienne Red Nation.
Proposant une analogie différente, l’historien juif américain Norman Finkelstein, dont les parents ont survécu aux camps de concentration, a comparé la résistance palestinienne aux détenus juifs qui s’échappent des camps de concentration et «font sauter les portes». Il a ajouté que sa propre mère avait soutenu le bombardement aveugle de civils allemands à Dresde. De nombreuses autres analogies existent, notamment la révolution haïtienne et la rébellion des esclaves de Nat Turner.
Pendant ce temps, personne n’a proposé d’analogie avec le soutien massif apporté par le public israélien à l’anéantissement des Palestiniens de Gaza. Selon les sondages du Israel Democracy Institute et du Peace Index de l’Université de Tel-Aviv, réalisés plus d’un mois après le début des bombardements israéliens massifs sur Gaza, qui avaient alors fait des milliers de morts,
«57,5% des juifs israéliens ont déclaré qu’ils pensaient que les FDI utilisaient une puissance de feu insuffisante à Gaza, 36,6% ont déclaré que les FDI utilisaient une puissance de feu appropriée, tandis que seulement 1,8% ont déclaré qu’ils pensaient que les FDI utilisaient une puissance de feu trop importante».
Cependant, plutôt que de déployer des analogies réelles ou fictives, la résistance palestinienne au colonialisme israélien doit toujours être ancrée dans l’histoire de la lutte anti-coloniale qui l’a précédée. La récente rage raciste de l’Occident et la guerre génocidaire d’Israël contre le peuple palestinien captif s’inscrivent dans cette lignée coloniale.
Les Éthiopiens, les Zoulous, les Soudanais et les Zimbabwéens sont quelques-uns des peuples qui ont perdu des dizaines de milliers de personnes à cause de la suprématie blanche et du colonialisme de peuplement. Des millions de personnes ont été tuées – parmi les indigènes algériens, tunisiens, mozambicains, angolais et sud-africains, sans parler des Vietnamiens, des Cambodgiens et des Laotiens – dans leurs luttes respectives entre 1954 et 1994.
Au cours des 140 dernières années, et plus dramatiquement au cours des 75 dernières, les autochtones palestiniens ont également été les victimes de cet héritage permanent du colonialisme européen, fondé sur la suprématie juive et la défense de la «civilisation occidentale».
source : Middle East Eye via Spirit of Free Speech