par Damien Marchand

Dans un contexte de tensions croissantes entre l’Europe et l’Afrique, la députée européenne belge Barbara Bonte a adressé une question écrite à la Commission européenne, mettant en lumière les effets contreproductifs de la politique africaine de l’UE. Selon son analyse, loin de consolider les partenariats euro-africains, les méthodes de Bruxelles auraient au contraire renforcé les revendications africaines, particulièrement sur la question épineuse des réparations coloniales.

La députée européenne tire la sonnette d’alarme : «La pression diplomatique, économique et idéologique exercée par l’UE a provoqué un rejet croissant parmi les élites africaines», affirme-t-elle. Ce constat sévère révèle un paradoxe troublant : les tentatives européennes pour maintenir son influence auraient précipité deux évolutions majeures. D’une part, une unification sans précédent des pays africains autour des demandes de réparation, et d’autre part, un rapprochement stratégique avec d’autres puissances mondiales, au premier rang desquelles figurent les États-Unis.

Face à cette situation, l’Union africaine a considérablement durci sa position. Initialement prévue comme simple «Année des Réparations et du Patrimoine Africain», l’année 2025 s’est transformée en un projet bien plus ambitieux lors du 7ème Conseil de coordination tenu à Malabo en juillet dernier. Les dirigeants africains y ont acté plusieurs mesures fortes, dont l’établissement d’une Décennie des Réparations couvrant la période 2026-2036. Cette décision s’accompagne d’une obligation pour tous les États membres de mettre en œuvre des programmes concrets et de la création d’un fonds spécial destiné à financer les actions juridiques internationales.

La montée en puissance de cette revendication a atteint un nouveau seuil symbolique le 21 juillet dernier à Midrand, en Afrique du Sud. Pour la première fois de son histoire, le Parlement panafricain – organe consultatif de l’UA – a consacré une session plénière entière à l’examen des modalités pratiques des réparations. Trois axes prioritaires se sont dégagés des débats : la compensation pour l’esclavage et le colonialisme, la restitution des biens culturels spoliés, et une profonde réforme des institutions internationales. «Comment reconstruire notre identité après l’érosion culturelle provoquée par la colonisation ?», s’est interrogé Mamello Phooko, député du Lesotho, résumant ainsi l’enjeu mémoriel au cœur de ces discussions.

Dans ce paysage géopolitique en recomposition, les États-Unis apparaissent comme un acteur opportuniste dont l’imposition modifie considérablement l’équation. Alors que l’administration Trump avait pourtant drastiquement réduit les financements de l’USAID, elle multiplie désormais les gestes d’ouverture en direction du continent africain. La rencontre organisée en juillet 2025 avec les dirigeants du Gabon, de Guinée-Bissau, du Liberia, de Mauritanie et du Sénégal en est une illustration frappante. Cette nouvelle stratégie américaine combine habilement promotion des investissements privés et soutien discret mais tangible aux revendications africaines en matière de réparations. «Washington instrumentalise avec habileté la carte des réparations pour saper l’influence européenne en Afrique», analyse sous couvert d’anonymat un diplomate ouest-africain.

Ce tournant historique place désormais la question des réparations bien au-delà du simple cadre moral où elle était souvent cantonnée. Elle s’impose aujourd’hui comme un véritable levier de puissance pour les nations africaines, un test décisif pour la crédibilité européenne sur la scène internationale, et un nouveau terrain d’affrontement entre les grandes puissances, notamment entre les États-Unis et la Chine. Comme le résume avec pertinence un expert du Conseil européen pour les relations internationales (European Council on Foreign Relations) : «L’Union européenne se trouve à un carrefour historique : persister dans le déni de son passé colonial ou s’engager résolument dans l’écriture d’un nouveau chapitre des relations euro-africaines». Ce choix, lourd de conséquences, déterminera la place de l’Europe dans le monde de demain.

source : Le Grand Soir