29 novembre 2023
La guerre à Gaza confirme un contraste récurrent entre la solidarité unanime des peuples arabes avec le peuple palestinien et les divisions des États arabes sur la stratégie à suivre vis-à-vis de ce conflit séculaire. Ces divisions traduisent des intérêts nationaux différents et nourrissent une faiblesse globale des «puissances arabes». Le peuple palestinien en souffre et ne cesse de clamer «Win el Arab ?». De quoi se demander en quoi consiste l’idée même de monde arabe.
Le «monde arabe» renvoie à un espace géoculturel cohérent qui recouvre l’ensemble des États où l’arabe est une langue officielle et dont la majorité de la population proclame son arabité. Malgré cette définition générale, la notion de «monde arabe» – comme celle d’Occident – ne va pas de soi.
Un monde uni par sa langue arabe
Il s’agit d’une idée moderne, d’une construction intellectuelle et idéologique. Celle-ci s’élabore au déclin de l’Empire ottoman à la fin du XIXe siècle et avec la montée du nationalisme arabe au milieu du XXe siècle. Les discours panarabistes appelant à l’unification de ce «monde» n’ont pas abouti à la naissance d’un «État-nation panarabe», mais à la création d’une organisation plus modeste : la Ligue des États arabes. Cette organisation internationale présente un intérêt formel, car ses membres fournissent une liste officielle de 22 pays où la langue arabe est une langue officielle.
Ce monde arabophone occupe un espace d’environ 13 millions de km², vaste continuité territoriale allant de l’océan Atlantique au Golfe persique, située à la croisée de trois continents (Europe, Asie et Afrique) et peuplée de près de 360 millions de personnes.
Le sentiment d’appartenance
Si la langue arabe est une langue officielle commune à ces pays, le second vecteur d’unité est précisément le sentiment d’appartenance à une communauté de destin fondée sur un patrimoine historico-culturel commun.
Le souvenir d’une union des Arabes sous le règne des califes omeyyades et abbassides perdure, en dépit de l’échec historique du panarabisme. Après les expériences nassérienne et baasiste, l’unité arabe a été reléguée au registre de l’affect et de la mythologie. Il n’existe ni État, ni nation(alité) rassemblant les Arabes sous un même drapeau. En dehors de l’exercice rhétorique, l’unité politique est introuvable.
Toutefois, des indices formels sont à signaler : plusieurs constitutions nationales se référent explicitement à l’identité arabe de l’État ; l’ensemble de ces entités étatiques sont membres d’une organisation commune, la Ligue arabe. Ce sont là des indices juridico-institutionnels qui traduisent un lien immatériel encore vivant.
Les Arabes sont encore mus par une conscience collective et une aspiration à l’unité (wihda) ou à l’unification (tawhid), qui transcendent les nationalités et autres frontières étatiques. Celles-ci manifestent moins une volonté d’unité politique dans le cadre formalisé d’un État-nation qu’un sentiment de solidarité, qu’incarne à elle seule la «cause» palestinienne.
On notera aussi la consolidation d’un espace public panarabe (grâce en particulier au développement des chaînes satellitaires : Al-Jazeera, Al Arabiya, Abu Dhabi TV et autres).
La division des Arabes
Au niveau des États, les individualismes et égoïsmes nationaux comme la quête de puissance et de leadership continuent de primer sur la solidarité panarabe.
L’histoire de la Ligue arabe symbolise cette crise existentielle permanente rythmée par des divisions et conflits interétatiques. Malgré l’idéologie panarabiste de ses Pères fondateurs et l’appel à l’unité des États arabes de son Pacte constitutif, la Ligue n’a pas réussi à faire prévaloir la solidarité interarabe. L’instrumentalisation de la Ligue par ses États membres a contribué à son discrédit, sentiment conforté par l’inefficacité, voire l’impuissance, de l’organisation sur la scène arabe et internationale. Son déficit de crédibilité et d’efficacité est directement lié à une forme d’«incapacité de puissance». Toutefois, c’est surtout à la faiblesse intrinsèque des États arabes que sont dus les échecs de l’organisation. Alors qu’elle devait œuvrer à l’unité arabe, la Ligue est rapidement devenue le théâtre des conflits d’intérêts stratégiques et personnels …
source : L’Économiste Maghrébin